Comédie musicale
Des vagues est une comédie musicale née d’un rêve partagé : raconter une traversée intime et collective, où la mémoire, la perte et la renaissance se mêlent au fil d’un voyage à bord d’un bateau blanc, à la lisière du rêve et du cauchemar.
Naissance du projet
À l’été 2022, Alizée Bingöllü m’a proposé de créer ensemble une comédie musicale. J’ai accepté sans hésiter. Depuis longtemps, j’en rêvais sans savoir comment concrétiser ce projet.
Notre complicité artistique remonte à nos premiers courts-métrages en 2005, puis avec Ödland à partir de 2008. Tandis qu’Alizée développait sa carrière de comédienne et metteuse en scène, j’approfondissais mes techniques de composition musicale et de scénographie. En 2022, nous nous sentions prêts à porter un tel projet de bout en bout, avec le soutien de la compagnie ICI 3.8.
Sur Des vagues, j’ai été impliqué à plusieurs niveaux : coécriture de la dramaturgie avec Alizée, composition musicale, création scénographique, interprétation scénique et participation au montage des décors.
SPOILER ALERT : Si vous ne voulez pas vous gâcher la surprise du spectacle, pas d’inquiétude, dans cet article les spoilers sont indiqués par des avertissements.
Les personnages
Des vagues met en scène huit personnages, réunis sur un étrange bateau imaginaire, où désir, peur et souvenir s’entrechoquent dans une ambiance sombre et onirique.
La rêveuse sur la plage
(Alizée Bingöllü) : Endormie sur le sable, elle divague sur le réchauffement climatique et embarque pour un rêve maritime.

Anissa
(Amélie Zekri) : Alter ego de la rêveuse, archiviste obsédée par la mémoire, incapable de laisser le passé derrière elle.

Le Capitaine
(Lorenzo Papace) : Guide énigmatique du bateau, concentré sur le voyage et les intempéries, presque absent à ses passagers.

Diego, Maître Coq
(Jean-Philippe Salerio) : Cuisinier rêveur d'art, peintre de vagues copiées, emporté par la passion.

Brune & Blanche
(Laure Rossi & Léa Bingöllü) : Sœurs inséparables, liées par un secret funèbre. Blanche est muette, son violon est sa voix.

Aimé & Albertine
(Vincent Bady & Anne Fromm) : Frère et sœur en fin de voyage. La perte de mémoire d'Albertine bouleverse leur lien.
L’histoire
Des vagues est structuré en trois actes, ponctués par une tempête centrale qui transforme irrémédiablement les personnages.
Prologue
La Rêveuse, allongée sur la plage, s’abandonne à ses divagations sur le réchauffement climatique. Au loin, un bateau blanc apparaît, silhouette irréelle sur l’horizon. Plongée dans son sommeil, elle embarque pour un voyage onirique.
La chanson Prologue à l’intrigue sert d’exposition, où chaque personnage est présenté par un couplet :
« Je rêve, je m’endors, je divague sur la plage. Mon bateau métaphore du vagabondage, vagabondage. »
« J’arrange les choses, je dispose, j’organise. Jamais voyage sans ma valise, ma valise, c’est ma hantise. »
Acte I
« Tu me dis que j’oublie même qui je suis… femme anonyme… « Je brosse, je masse, je concasse, je sauce, « Dans le ciel et sur la mer, on décèle l’immense cosmos. Des puissances et de nos guerres resteront seulement nos os. »
Tu me blâmes, tu m’humilies tu enfermes mon âme dans l’abîme.
Suis-je un débris qui périme ? Mise au rebut du système.
Ne me jette pas ! Je me souviens…»
je fracasse les os des cuisses de carcasses.
Je tasse, je pousse, je fricasse, je mousse.
Et tous à vos places pour le plat de l’audace : Risotto à la rascasse.
J’aimerais tant être un peintre notable.
En attendant, mes enfants… à table ! »
Aimé livre sa vision désabusée du progrès technologique. Il raconte comment il a tiré un trait sur son passé d’ingénieur et invite à l’humilité face au cosmos dans la chanson L’immense cosmos :













Acte II
Une tempête soudaine éclate. Albertine, en proie à ses souvenirs traumatiques, croit voir son mari violent la poursuivre sur le bateau. Incapable de distinguer rêve et réalité, elle revit ses terreurs passées. Anissa, bouleversée, se précipite pour la sauver. Albertine, épuisée par ses blessures invisibles, choisit d’accepter cet abandon au fond de l’océan. Elle trouve enfin la paix parmi celles qui l’accueillent. Anissa, quant à elle, refuse de céder à l’oubli.
Le bateau tangue violemment sous les rafales, et tous les passagers sont pris dans un tourbillon de peurs, de souvenirs et de visions déformées par l’angoisse.
Dans la confusion, elle saute par-dessus bord, cherchant à échapper à son passé.
Plongées dans les profondeurs marines – symbolisées scéniquement par la salle de théâtre éclairée de bleu –, elles rencontrent Le Chœur des femmes oubliées : un groupe de voix qui tente de retenir celles qui sombrent dans l’oubli.
Le chœur, ému par sa détermination, lui confie un symbole d’espoir : l’enfant coquillage, un être fragile qu’Anissa doit protéger et élever.
Elle accepte cette mission et remonte à la surface, un nouvel engagement en elle.











Acte III
Un incendie éclate à bord. Anissa, découvrant la fumée, replonge dans ses souvenirs d’enfance marqués par la perte de sa mère et de sa grand-mère dans un incendie. Brune découvre que l’incendie est parti de la cuisine, où Diego, perdu dans sa passion créatrice, a négligé toute sécurité. Anissa découvre que Diego a volé et détruit son carnet de notes — ce carnet dans lequel elle consignait tout pour ne rien oublier. Cette libération, loin d’être apaisante, est marquée par la douleur du détachement et la reconnaissance de l’irréversible. Le bateau sombre lentement, envahi par les flammes et les eaux. Anissa tente désespérément de sauver l’enfant coquillage, symbole fragile d’une mémoire préservée et d’un avenir possible.
La panique gagne les passagers alors que des flammes commencent à ravager le bateau.
Elle s’inquiète pour l’enfant coquillage qu’elle a juré de protéger.
Obsédé par sa muse Blanche et emporté par une frénésie destructrice, Diego met en péril l’équipage tout entier.
Face à ce double choc — la perte de son carnet et la menace sur l’enfant coquillage —, elle vacille.
Brune, jusqu’ici incapable de se séparer de sa sœur défunte, accepte enfin de laisser partir Blanche, dont elle jette les cendres à la mer.
Diego, enfermé dans sa folie, croit parachever son chef-d’œuvre alors que tout s’effondre autour de lui.










Épilogue
La rêveuse revient sur la plage. Elle se réveille lentement, bouleversée par son rêve. Mais alors qu’elle croit retrouver la paix, un petit bateau en flammes dérive lentement vers la plage : La rêveuse regarde l’horizon, porteuse à la fois d’un deuil et d’un espoir incertain.
À ses côtés, son enfant est sain et sauf. La menace qui pesait sur elle dans le rêve s’efface un instant sous la lumière du matin.
le cauchemar, en filigrane, déborde sur la réalité.
Elle évoque le voyage éphémère, les épreuves traversées et l’inévitabilité de la perte, mais aussi la persistance fragile du souvenir et de la beauté.
La mer, comme la mémoire, continue de rouler ses vagues silencieuses.
Comment nous avons créé Des vagues
Voici comment Alizée Bingöllü et moi avons conçu et réalisé Des vagues, produit par la compagnie ICI 3.8 et compagnie.
Dramaturgie
La création de Des vagues a commencé par une évidence : nous ne voulions pas écrire une simple suite de chansons autour d’un thème, mais construire un véritable drame musical.
Un récit structuré, où musique, texte et scénographie participeraient ensemble à la narration.
Avec Alizée Bingöllü, nous avons d’abord partagé nos envies, nos images, nos obsessions.
Puis nous avons structuré l’histoire : personnages, conflits, évolutions intérieures.
Des vagues suit une architecture dramatique précise :
situation initiale → élément perturbateur → péripéties → crise → résolution.
Le récit est encadré par un prologue et un épilogue, tandis qu’une tempête centrale marque le basculement de l’histoire.
Chaque personnage est traversé par un conflit intérieur qui oriente son évolution :
Les conflits intérieurs des personnages :
Nous avons également déterminé en amont quels seraient les moments critiques ou intenses nécessitant une mise en musique.
Parfois, la frontière entre jeu et chant s’efface : on glisse d’une parole à une mélodie, d’une situation à un souvenir sonore.
Tout devient musique et narration à la fois.
Les neuf chansons principales :
À partir de cette ossature, nous avons réparti le travail :
Alizée s’est concentrée sur l’écriture de la pièce, tandis que j’ai composé les chansons.
La présence et l’interprétation des comédien·nes ont ensuite enrichi la matière dramatique : c’est à travers eux que les personnages ont véritablement pris vie.
Composition
La création musicale de Des vagues a suivi le rythme organique d’une pièce en devenir.
Comme pour tout projet théâtral, nous avons traversé plusieurs étapes de travail, jalonnées de maquettes présentées en fin de résidence, destinées à offrir un aperçu de l’œuvre en cours aux professionnels.
Résidence au Théâtre National Populaire de Villeurbanne, Octobre 2023



En décembre 2022, deux ans avant la première représentation publique, j’ai composé Coup de vent.
Cette chanson en 6/8, vive et tourbillonnante, utilise des passages entre tonalités majeures et mineures, évoquant les brusques changements de lumière sous un ciel d’orage.
Ce morceau est devenu l’épine dorsale de toute la partition musicale : en variant ses motifs, en les réharmonisant, en les distordant, j’ai disséminé dans la pièce des échos mélodiques, construisant ainsi une mémoire souterraine qui relie les différents moments de l’histoire.
Une fois la distribution des rôles achevée, j’ai étudié la voix et la tessiture de chaque comédien·ne.
Ce travail précis m’a permis de composer des lignes vocales adaptées à chaque interprète, respectueuses de leur registre naturel et de leur expressivité.
Lorsque Léa Bingöllü a rejoint la troupe, j’ai également écrit des parties de violon sur mesure, intégrées dans la dramaturgie musicale.
Le spectacle est interprété entièrement en direct : aucune bande musicale enregistrée.
La base musicale repose principalement sur le piano, que je joue en scène, depuis la cabine du Capitaine.
Chaque comédien·ne est équipé·e d’un micro sans fil, soigneusement installé par Louise Blancardi, technicienne son, afin d’assurer un équilibre subtil entre chant et jeu parlé.
Piano et structure intérieure de la cabine Capitaine
J’ai écrit mes partitions en préservant une part d’improvisation (typiquement j’ai ma mélodie et la grille harmonique, le reste des arrangements piano est moins strictement défini). Cette démarche contribue à la magie du spectacle vivant, chaque performance est unique. Elle permet également une liberté, une souplesse d’interprétation pour m’adapter au rythme et variations du jeu des comédiens. Et enfin la présence constante d’imprévus et d’expérimentations m’oblige à être encore plus concentré dans l’instant présent, ce qui renforce le plaisir de jeu.
Dans l’écriture des partitions, j’ai tenu à préserver une part d’improvisation :
si la mélodie principale et la structure harmonique sont définies, les arrangements pianistiques restent ouverts, souples.
Cette approche nourrit la magie du spectacle vivant : chaque représentation devient unique, sensible aux respirations du jeu et aux accidents heureux de la scène.
La musique vit avec les interprètes, dans une tension constante entre rigueur et liberté.
Le plus grand défi a été la composition de la chanson Le chœur des femmes oubliées :
une scène entièrement chantée d’environ dix minutes, où un chœur féminin incarne un espace de mémoire collective.
À chaque étape de la tournée, nous travaillons en amont avec un groupe de femmes local, toujours différent, ce qui ancre profondément le spectacle dans la région qui l’accueille.
Pour la première représentation au Polaris de Corbas, nous avons eu la chance de collaborer avec la cheffe de chœur Émilie Plaza, dans un échange musical et humain d’une grande intensité.
Scénographie
En parallèle du travail de dramaturgie et de composition musicale, j’ai conçu et réalisé la scénographie du spectacle Des vagues.
Pour moi, la scénographie ne se limite pas à la construction d’éléments de décor.
Elle est une écriture en soi : un langage spatial qui accompagne et révèle l’histoire, ses tensions, ses émotions.
L’idée n’est jamais de « décorer » un espace, mais de faire du décor un acteur silencieux du récit.
Chaque volume, chaque matière, chaque mouvement scénique participe activement au drame, au point de vue, au rythme et à l’atmosphère générale de la pièce.
Comme je l’explique plus en détail dans ma vidéo dédiée à ce sujet, tout commence par une émotion.
En lisant le texte, en écoutant la musique en devenir, je cherche à ressentir, à imaginer :
Quel espace peut incarner cette émotion ? Quelle matière racontera au mieux cette histoire intérieure ?
Je ne construis pas un bâtiment : je construis une sensation, une mémoire partagée.
Processus de création scénique
1. Recherche d’inspirations
Je constitue des moodboards visuels : espaces de cuisine, de charbon, de bateau, de cabine, souvenirs flous…
Tout ce qui peut nourrir l’imaginaire plastique du spectacle.











2. Analyse du texte
Chaque scène est étudiée pour comprendre les enjeux émotionnels et narratifs qu’elle porte.
Je repère les moments-clés où l’espace doit évoluer, se transformer, vibrer avec l’action.
3. Croquis, maquettes et matériaux
Je réalise des croquis, des maquettes à l’échelle et un inventaire des matériaux disponibles, en privilégiant le réemploi et l’économie de moyens.














4. Première conduite scénographique
J’établis une conduite scénique : une cartographie du mouvement des éléments de décor, en lien avec le rythme du récit.
Le décor devient fluide, vivant, parfois instable, comme la mémoire elle-même.




5. Fabrication du décor
Enfin vient la réalisation concrète : découpe, assemblage, peinture, montage.
Chaque pièce du décor est fabriquée artisanalement, principalement à partir de bois, carton, papier et matériaux de récupération.



































Dans Des vagues, la scénographie est ainsi pensée comme une mer intérieure : mouvante, instable, fragile.
Elle accompagne la traversée émotionnelle des personnages et du public, entre naufrage et renaissance.
À bord de Des vagues, la mémoire vacille, les cendres volent, les tempêtes grondent.
Et pourtant, dans l’ombre du naufrage, subsistent encore des éclats de rêve.